Traumatisme d’enfance : comment ne pas s’en souvenir ?

Certains adultes découvrent à l’âge mûr des épisodes d’enfance oubliés pendant des décennies. Cette absence de souvenirs ne résulte pas d’un simple défaut de mémoire, mais d’un mécanisme psychique reconnu par la psychiatrie : l’amnésie traumatique.

Les études cliniques l’affirment : une proportion non négligeable de personnes ayant traversé des violences précoces se retrouvent, parfois bien plus tard, privées de tout souvenir de ces faits. Il ne s’agit pas d’une simple disparition : les souvenirs se terrent, verrouillés dans les recoins du psychisme, parfois à jamais. Ce phénomène interroge la manière dont le cerveau tente de protéger face à ce qui dépasse l’entendement, tout en rendant la reconstruction de soi difficile et le parcours thérapeutique complexe.

L’amnésie traumatique : un mécanisme de protection méconnu

La mémoire traumatique n’est pas seulement une image douloureuse que l’on écarte d’un revers de main. Dans bien des cas, le cerveau enclenche une rupture franche : l’amnésie traumatique, ou amnésie dissociative, fait suite à un événement traumatisant. La personne perd tout ou partie de l’accès à ce qui s’est déroulé. Ce n’est pas une défaillance mémorielle anodine, mais une vraie stratégie de défense psychique.

La dissociation agit en verrou, protégeant la psyché d’une implosion émotionnelle. Le souvenir traumatique reste tapis, hors du champ de la conscience immédiate, mais il peut ressurgir sous forme de sensations, d’angoisses sourdes, de symptômes physiques ou de flashs. La différence avec le refoulement, concept psychanalytique moins confirmé par les avancées récentes, se joue notamment sur le plan neurobiologique, désormais mesurable par la recherche.

Mécanisme Fonction Conséquence
Amnésie traumatique Protection du cerveau Perte de souvenirs liés au traumatisme
Dissociation Défense psychique Séparation du souvenir traumatique de la conscience

Les observations en cabinet montrent que ce type d’amnésie ne concerne pas uniquement les contextes extrêmes. Un accident, une agression, la perte brutale d’un proche… Tout ce qui heurte profondément peut activer ce mécanisme, quel que soit l’âge. La difficulté centrale ? Retrouver une forme de continuité dans une mémoire éclatée, tout en évitant d’être envahi à nouveau par la douleur d’autrefois.

Pourquoi certains souvenirs d’enfance disparaissent-ils après un traumatisme ?

Quand un événement douloureux survient pendant l’enfance, la mémoire ne se contente pas d’archiver les faits. Elle les fragmente, les enchevêtre, ou les rend tout bonnement hors d’accès. Les rôles de l’amygdale, de l’hippocampe, du cortex cingulaire et du cortex préfrontal sont déterminants dans la gestion des souvenirs traumatiques. Surchargées par les hormones du stress, ces régions fonctionnent différemment. Comme le cerveau d’un enfant est en plein développement, sa priorité absolue devient la survie, bien avant toute mise en cohérence de son histoire personnelle.

Ce qui disparaît réellement, ce n’est ni plus ni moins qu’une stratégie d’autoprotection face à une réalité intolérable. Les neurosciences le rappellent sans fin : les traumatismes d’enfance, qu’ils soient liés à l’humiliation, l’abandon, la violence ou la discorde familiale, impriment une marque durable, parfois silencieuse, sur l’équilibre psychique et physique. Parfois, bien des années plus tard, une odeur, une voix ou un visage réveillent des sensations incompréhensibles, échos d’un passé jamais pleinement assimilé.

Loin d’un effacement ordinaire, cette amnésie est une forme d’adaptation du cerveau. Certaines découvertes en épigénétique viennent même montrer que les effets des traumatismes peuvent se transmettre d’une génération à l’autre, en modifiant l’expression de certains gènes. La mémoire traumatique excède alors l’individu pour façonner l’histoire familiale, au fil des transmissions visibles et invisibles.

Pour mieux saisir ce qui se joue, résumons les points fondamentaux :

  • Traumatisme d’enfance : retentissement durable sur la santé mentale et physique
  • Mémoires stockées dans des circuits cérébraux qui échappent à la conscience directe
  • Effets du traumatisme potentiellement transmis à la descendance par l’épigénétique

Reconnaître les signes et les conséquences de l’amnésie traumatique

L’amnésie traumatique se développe généralement de façon discrète, que ce soit chez l’enfant ou chez l’adulte. Les souvenirs disparaissent, mais la souffrance se manifeste autrement. Parfois, de longues années s’écoulent avant qu’un trouble de stress post-traumatique (TSPT) ne s’installe : cauchemars récurrents, irruptions soudaines d’images, irritabilité, difficultés à dormir. Même si la mémoire refuse, le corps et l’esprit trouvent d’autres moyens d’exprimer ce qui ne peut se dire.

Des symptômes tels que l’hypervigilance, l’anxiété persistante, des troubles du comportement, un état dépressif ou des addictions peuvent faire leur apparition, souvent sans que la personne puisse faire le lien avec ce qui a été vécu. L’évitement de certains lieux, mots ou sons s’installe de façon obscure. Les troubles psychosomatiques, douleurs diffuses, maux de tête à répétition, problèmes digestifs, constituent parfois la seule trace visible d’un passé enfoui.

Voici un aperçu des manifestations à observer :

  • Troubles du sommeil
  • Comportements d’évitement
  • Compulsion de répétition : revivre, souvent sans s’en rendre compte, des situations similaires au traumatisme initial
  • Dépression ou anxiété tenace
  • Addictions de différentes natures

La dissociation agit comme un système de filtration, coupant la conscience du souvenir source. Si elle est parfois confondue avec le refoulement, sa fonction centrale reste la survie. Mais vivre ainsi, avec des morceaux manquants dans sa propre histoire, brouille la relation à soi, aux proches, au travail. Les retombées s’étendent bien au-delà de l’individu : tensions dans la sphère familiale, difficultés scolaires ou professionnelles, repli progressif. Trop rarement détectée, l’amnésie dissociative perpétue le silence et l’isolement.

Homme réfléchi dans un parc urbain avec jeux pour enfants

Des pistes pour mieux vivre avec les zones d’ombre de sa mémoire

Il ne s’agit pas de recréer le passé ni de forcer les souvenirs, mais d’apprendre à cheminer avec ces zones d’ombre inscrites par l’amnésie traumatique. Lorsque la mémoire est fragmentée, blessée par la dissociation, elle requiert des espaces protégés pour se manifester à son rythme. L’appui d’un thérapeute familier des traumatismes de l’enfance s’avère souvent précieux dans cette démarche. Plusieurs approches peuvent aider : la thérapie cognitivo-comportementale (TCC), l’EMDR (travail sur les mouvements oculaires), et diverses thérapies corporelles qui restaurent la connexion aux ressentis.

Quant à la reconstruction, le soutien social joue un rôle déterminant, même en l’absence de souvenirs « retrouvés ». La résilience s’alimente des relations porteuses : famille, proches, groupes d’entraide, associations. Oser déposer quelques mots, délier le silence, même de façon fragmentaire, c’est déjà reconnaître la réalité du vécu et amorcer la sortie de l’isolement.

Une prudence reste de mise face au risque de faux souvenirs, pointé par de nombreux chercheurs : la démarche thérapeutique ne doit jamais induire ni suggérer la remémoration. Le respect du rythme intérieur demeure la seule boussole fiable. Se remettre en marche ne consiste pas à tout reconstituer en détail ; avancer, c’est faire confiance à la capacité du cerveau à réparer, peu importe l’ampleur de la blessure. Les recommandations actuelles invitent à évoluer avec bienveillance, sans tenir pour acquise la reconstitution d’une vérité totale, souvent hors de portée après certains événements traumatisants survenus dans l’enfance.

Les souvenirs verrouillés ne disparaissent pas vraiment : au fil du temps, il arrive qu’un rai de lumière traverse la pénombre intérieure. Parfois, c’est dans cette mince ouverture que vient commencer la réparation.

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